Écouter l'histoire de cette superbe première étape de La 55e Solitaire du Figaro Paprec. Ecrite et récitée par Serge Herbin, commentateur mythique de la course au large.
A l’heure du déjeuner espagnol, Loîs Berrehar, l’homme qui rêvait d’olympisme, s’impose en patron sur la première étape de la Solitaire du Figaro Paprec. Il lui aura fallu parcourir plus de 1200 kilomètres pour devancer de quelques secondes le géant vermillon Basile Bourgnon. A l’heure de faire les comptes pour scruter les écarts, aucun marin ne peut avoir la certitude de s’imposer au général. On notera que d’autres peuvent malheureusement considérer avoir déjà perdu l’épreuve.
Les souvenirs rouennais étaient encore bien présents ce dimanche 25 août au matin. Les marins de la 55ème Solitaire du Figaro Paprec évoquaient à qui voulait bien l’entendre, les moments de grâce connus dans la ville aux cent clochers. Sur les coups de 11 heures, l’agitation était de mise sur les pontons du Havre, lieu de rassemblement après une descente de la Seine. Préparateurs, supporters ou badauds de passage étaient présents pour saluer les 37 skippers de la Solitaire et les 16 marins du Défi Paprec. Tandis que certains affichaient une mine de décontraction totale, d’autres semblaient avoir déjà pris place dans leur bulle de concentration. Les spectateurs inconditionnels de la discipline vélique ou plus simplement du beau spectacle, s’étaient donné rendez-vous au cap de la Hève, lieu de prédilection des coups d’envoi havrais. Sur la zone de départ, l’anémomètre affiche un vent constant de sud-ouest d’une quinzaine de noeuds. Les conditions idéales pour offrir une représentation sportive de qualité. Le bon départ est officialisé par Bruno Lebreton, Président du comité de course, rapidement relayé par Cloé Trespeuch snowboardeuse de talent et marraine de l’épreuve, qui ne manque pas de communiquer quelques mots d’encouragements aux marins déjà dans leur course. Le trophée Bollé réservé au skipper le plus rapide sur la ligne, a été décerné à Gaston Morvan (Bretagne CMB Performance). Le natif des Abers récidivera 45 minutes plus tard à l’issue du parcours côtier, en contournant en tête la bouée Paprec et par la même occasion, en empochant la prime prévue à cet effet.
Les falaises de craie dans le tableau arrière des figaristes, il s’agit à présent de rejoindre la pointe du Cotentin en luttant contre le courant aux abords du célèbre et délicat raz Barfleur. La solution la plus efficace pour jouter contre ce phénomène est d’adopter la technique dite du « rase cailloux ». Mais ne titille pas la roche qui veut. Les 2,50 m de tirant d’eau du Figaro Bénéteau 3 n’autorisent pas la moindre foucade. A l’approche de Cherbourg, Alexis Loison (Groupe Réel), ouvre la route, suivi par Jules Delpech (Orcom) et Loïs Berrehar (Skipper Macif 2022). Quelques encablures derrière, Louise Acker (Bretagne CMB Océane) subit la malédiction de cette route chaotique en heurtant le pavé de la zone d’éboulis de Biéroc, face au Cap Lévi. Ce talonnage l’obligera à faire escale pour constater les dommages, lui signifiant la mort dans l’âme son abandon. Loison, qui connaît mieux que quiconque cette contrée maritime, s’offre le luxe, particulièrement gonflé, de pénétrer dans la grande rade de Cherbourg afin d’éviter le courant, imité en cela par l’intrépide et forcément talentueux bizuth Jacques Delcroix (Actual). Le gain est certainement minime, mais sur la Solitaire le temps est tellement précieux, qu’il convient de ne négliger aucune seconde de bénéfice. La renverse attendue, les marins respectent à l’unisson le DST des Casquets avant d’aborder un long segment jusqu’au célèbre phare de Wolf Rock, lanterne des Cornouailles britanniques. Le fanal anglais servira de marque pour le sprint intermédiaire donnant lieu à quelques bonifications en temps au classement général. Le premier à le franchir à 00 h19 le 27 août est Alexis Loison. Basile Bourgnon (Edenred) passe ensuite à 00 h24, suivi par Victor Le Pape (Bretagne CMB Espoir) à 00 h26. Après 230 mn parcourus, il est aisé de constater une flotte relativement groupée puisque le 11ème Gaston Morvan, ne pointe qu’à 20 minutes du leader. La route est encore longue pour rejoindre Gijón sur la côte des Asturies et les marins doivent à présent composer avec un flux de sud de 16 à 17 noeuds dans une mer particulièrement désordonnée. Quelques heures, plus tard, un choix doit s’opérer afin de contourner le DST d’Ouessant sur une route devenue plus confortable. Certains routages préconisent un respect de cette zone interdite par l’ouest, quand d’autres offrent la possibilité à quelques audacieux de la déborder par l’est. C’est finalement en direction du coucher du soleil, que les skippers s’orienteront. Tous, sauf Sanni Beucke (This race is female), qui a constaté la rupture du câble D2 bâbord, hauban qui retient le mât. L’allemande n’a pas d’autre alternative que de rejoindre le port de Brest dans le but d’effectuer une réparation, afin de prendre la direction de Gijón pour le départ de la deuxième étape.
Pour ces baroudeurs des mers, il s’agit à présent d’étudier la progression en étudiant toutes les possibilités stratégiques qu’offre la météo à venir. Les placements sont devenus primordiaux et les virements de bords se succèdent dans le but d’exploiter au mieux les petites oscillations du vent. Une 3ème nuit qui s’annonce particulièrement délicate avec une fatigue qui doit incontestablement faire son oeuvre. Peu de temps avant le petit matin du 28 août, la cartographie laisse apparaître trois groupes évoquant ainsi trois options différentes. Les plus à l’ouest, Philippe Hartz (Marine Nationale – Gican) et Alexis Thomas (Wings of the océan), empruntant une route plus longue, sont les premiers à toucher la bascule de vent de nord-ouest après le passage du front et engrangent aussitôt les bénéfices en trustant les deux premières places du classement. On trouve au centre, le gros de la flotte et légèrement décalé à l’est, un Loison qui passe en une heure de la première à la 12ème place, puis 45 minutes plus tard à la 24ème. Lors de son résumé quotidien, le directeur de course Yann Château déclare : « C’est encore loin d’être joué, les marins peuvent s’attendre éventuellement à quelques surprises avec quelques zones sans vent dans le golfe de Gascogne ». En début d’après-midi, le classement est à nouveau bouleversé avec le retour des centristes et un Loïs Berrehar bord à bord avec Basile Bourgnon en tête de course. Avant la tombée du 3ème jour de course, on assiste à un véritable jeu de chaises musicales en constatant le retour en tête du guerrier manchois Alexis Loison qui bénéficie d’un flux de nord d’une douzaine de noeuds. Ce souffle salvateur et constant l’autorise à progresser aux allures portantes la nuit entière. A 4 h30 le jeudi 29 août, la cartographie révèle que le skipper du Groupe Réel caracole en tête avec 5,2 mn d’avance du Romain Le Gall (Centre excellence voile – Secours Populaire 17), et 9,5 mn sur l’irlandais volant Tom Dolan (Smurfit Kappa). A plus de 10 mn nautiques pointent Loïs Berrehar, Elodie Bonafous (Quéguiner – La vie en rose) et Basile Bourgnon. Au lever du jour, il est l’heure de rebattre les cartes. Loison se cogne la tête sur la zone sans vent en approche de Gijón. L’effet est presque immédiat et plus les minutes s’égrènent plus son classement décroît. Le skipper cherbourgeois est pointé à midi en 20ème position à 2 mn du leader Loïs Berrehar. Le skipper Macif 2022 subit à son tour la zone tampon ce qui permet à l’arrière de la flotte de recoller aux avant-postes. A compter de cet instant, incapable de se prononcer sur le futur lauréat, tant il y a de voiliers à vue les uns des autres. Ils sont 10 figaristes regroupés en 500 mètres. A moins de 4 mn nautiques du but, le bizuth Thomas de Dinechin (Almond) positionné à 0,9 mn du leader, s’offre une trajectoire à montrer dans les écoles de voile qui lui permet de griller la politesse à ses prédécesseurs par la gauche du plan d’eau. A la prise d’antenne sur le site Internet de l’épreuve, la première image dévoile ce nouveau venu en tête de la course avec 4 longueurs d’avance sur les cadors de la classe. Moins d’un mile nautique à parcourir pour celui qui est encore inconnu des journalistes qui fréquentent la Solitaire depuis de nombreuses années. L’un des plus expérimentés n’hésite pas à formuler la phrase : « Il va réussir le hold-up parfait ». Au jeu des empannages, le plus malin ou le plus habile débordera le skipper d’Almond à 300 mètres de l’épilogue. Loïs Berrehar remporte la première étape de cette 55ème édition avec 1 minute et une seconde d’avance sur Basile Bourgnon. Jules Ducelier (Région Normandie) accède à la troisième marche du podium, à 1 minute et 35 secondes, s’emparant par la même occasion du classement des bizuths. Parmi les prix spéciaux, il est à noter la victoire dans le Vivi Trophy (classement réservé aux étrangers) de Tom Dolan 9ème de l’étape.
La Solitaire du Figaro Paprec est une compétition impitoyable. Une vraie course de marins destinée aux durs au mal. A l’issue de ce premier épisode, les écarts sont le l’ordre de la modestie, mais les têtes d’affiche de la classe Figaro Bénéteau sont déjà au rendez-vous. A son arrivée, Loïs Berrehar déclarait « Cela fait 6 ans que je viens sur la solitaire en faisant des places honorables, sans pour autant briller sur une étape. Aujourd’hui est un grand jour, je goûte enfin aux saveurs de la victoire. C’est la preuve que patience et travail finissent par porter leurs fruits ». Pour information et statistiques, le skipper Macif 2022, à parcouru la distance de 711 miles nautiques à la vitesse moyenne de 7,57 noeuds. Son temps de course est de 3 jours 21 heures 58 minutes et 21 secondes. Heureux mais réaliste, le blond Loïs n’est pas du genre à fanfaronner, il connaît trop bien la course pour se sentir hors de danger de la concurrence.
Défi Paprec :
Une riche idée du partenaire titre et d’OC Sport Pen Duick. Ce défi offre cette année la possibilité à tous de participer en double à la première étape de la course historique de la voile française. Il se dispute sur le même parcours de la première étape. Cette initiative a pour vocation d’attirer et de former une nouvelle génération de skippers en Figaro Bénéteau 3 en leur permettant de vivre une première expérience de course au large en double. Une formule qui permet de goûter aux joies de la compétition, tout en bénéficiant de la même organisation incluant la sécurité sur l’eau, la gestion de la course et toutes les infrastructures à terre. Huit duos étaient dans les starting block pour ce défi. De Pier Paulo Dean qui allait découvrir la navigation nocturne à l’expérimenté Sydney Gavignet, quatre tours du monde à son actif. Contrairement aux marins de la Solitaire, les écarts entre équipages ont été plus significatifs. Le duo du voilier Mieux, composé d’Hugo Le Clech et Arthur Meurisse lève les bras dans les Asturies avec un matelas particulièrement confortable en termes d’avance. Ils franchissent la ligne à 13 heures 39 minutes et 44 secondes ce jeudi 29 août. Les britanniques Ellie Driver et David Paul (Chilli Pepper) s’emparent de la deuxième place à 16 heures et 1 minute. La troisième marche du podium sera occupée par Pierrick Letouzé et Lola Billy (Normandy Offshore Program by Paprec).
Serge HERBIN