Alors, découvrez le Chapitre 1 du journal de bord de cette 54e édition, écrit par Pierre-Marie Bourguinat et lu par Serge Herbin.
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Cavale en mer Celtique...
Il s’en est passé des choses depuis dimanche 13 heures où les 32 marins s’élançaient en fanfare pour l’ouverture de cette 54 ème édition de la Solitaire du Figaro Paprec. 610 milles, du match à tous les étages, des grands bords et du rase cailloux, des favoris au rendez-vous et au final, c’est ceux qui tentent le plus qui sont récompensés…
A l’heure du champagne et des premières bières sur les pontons de Kinsale, chacun refait le match. De cette étape au finish ébouriffant, accouchent des écarts finalement assez faibles. Ce qui est pris n’est plus à prendre mais tout reste à faire !
Ça commence comme une bataille de chiens fous. Les 15-20 noeuds sur la ligne de départ sont propices pour s’ébrouer et peu importe la grisaille ce dimanche 27 août. Au large d’Ouistreham, 32 marins ont les crocs. Dès le parcours côtier et le louvoyage le long des plages du débarquement, le rythme est endiablé. Les chiens aboient et la caravane passe, celle des favoris qui se retrouvent rapidement aux avant-postes. Ne manque à l’appel qu’Alexis Loison (Groupe Réel) . Le Normand a accroché ses foils dans les balcons arrière d’Hugo Dhallenne (Yacht Club de Saint Lunaire) mais se refait rapidement. 16 participations à la Solitaire donnent visiblement une certaine aisance pour mettre un coup de collier et rejoindre la meute !
Avertissement sans frais également pour Gaston Morvan, vainqueur du parcours côtier qui s’écarte un poil trop tôt de la côte de Nacre et se retrouve 20ème en trois heures… petit rappel que les places se perdent plus facilement qu’elles ne se gagnent sur la Solitaire …
Des favoris au rendez-vous et Pirouelle en patron...
Les 48 premières heures de cette 54 ème édition de la Solitaire sont conformes à cette entame. Facile de commettre de petites erreurs, mais impossible de créer de véritable break en tête de course. Les deux traversées de la Manche sont relativement courtes, sans option marquée. La lente et belle procession matinale le long de la côte Sud de l’île de Wight aurait pu coûter cher aux retardataires dans cette brise évanescente et à contre courant, mais finalement la flotte se retasse dans la journée et la nuit de lundi en approche des Héaux de Bréhat, dans des conditions assez instables mais toujours maniables.
Bien sûr, la hiérarchie se dessine petit à petit. Certains, bien en verve au départ mais un peu tendres se font décrocher, à l’image des bizuth Pierre Daniellot (Team Vendée Formation) et Victor Le Pape (Région Bretagne CMB Espoir). Devant, c’est collé-serré et rarement les classements ont été aussi fidèles aux paris d’avant-course. Corentin Horeau (Banque Populaire), Alexis Loison (Groupe RÉEL), Lois Berrehar (Skipper Macif 2022) et le benjamin Basile Bourgnon (Edenred) s’échangent les places sur le podium et se tiennent en moins de 2 milles après 36 heures de lutte au couteau. Elodie Bonafous (Queguiner la Vie en Rose), Tom Dolan (Smurfit Kappa-Kingspan) et Gaston Morvan (Région Bretagne CMB Performance) ne sont jamais loin.
Un marin semble tout de même naviguer un peu au dessus du lot, Guillaume Pirouelle (Région Normandie) qui fait preuve d’une excellente vitesse à toutes les allures et soigne ses trajectoires en éclaireur qu’il fût aussi en avant-saison. En tête de la meute pendant 48 heures, il empoche le bonus de 5 minutes à la marque Needles fairway lundi à la mi-journée, toujours bon à prendre sur cette impitoyable course au temps qu’est la Solitaire du Figaro Paprec. Le normand est l’homme à battre mais il est visiblement coriace. Lorsqu’il accroche un casier qui le stoppe au passage de Guernesey, il bagarre 7 bonnes minutes pour reprendre le fil de sa course et reste en tête !
Sous le signe du trèfle...
La troisième Manche, celle qui mène vers les Scilly avant le grand saut en mer Celtique vers le Fastnet et Kinsale, n’augure rien de très nouveau. Certains tirent un peu la barre pour accélérer et anticiper la bascule. D’autres jouent le courant et la route directe mais l’écart latéral est faible et les chiffres ont la tête dure : les 15 premiers se tiennent toujours en 3 milles. Corentin Horeau semble plus incisif et Guillaume Pirouelle un peu moins en pointe, mais c’est finalement de Tom Dolan que vient le danger. Devant le trèfle à trois feuilles que forment les DST des Scilly, l’irlandais voit peut-être le signe de sa terre natale se dessiner. Il lâche la meute, « prend son petit baluchon, son courage et part de l’autre côté » dit joliment Elodie Bonafous à la VHF. Il vire au nord et se décale franchement, suivant une veine visiblement pas inscrite sur les road books de la tête de course. Les leaders filent plein Ouest, sur un bord assez loin de la route directe…
Nous sommes mardi soir et quelque chose vient de se passer sur la 54ème Solitaire du Figaro Paprec. Le bord vers l’Ouest est un pari sur l’avenir, celui de la fin de course où une petite perturbation rentrera par le large. En attendant, ceux qui jouent la route directe ont de la pression et s’échappent. Au pointage mercredi matin, Tom Dolan est crédité de … 20 milles d’avance sur Corentin Horeau et Basile Bourgnon, leaders du groupe compact dans l’Ouest ! La petite dorsale, plus coriace semble-t-il au Nord, lui en confisque une dizaine dans la matinée, mais au fur et à mesure que les trajectoires convergent à nouveau vers le Fastnet mercredi soir et que le vent rentre pour tout le monde, il y a de quoi douter. A moins que Niels Palmieri (Teamwork), tenant d’une route intermédiaire ait raison ?
Benoit Tuduri en cavale...
Pour l’heure, c’est le bizuth Benoit Tuduri (CAPSO En Cavale) qui s’est emparé de la tête. Champagne pour ce jeune coureur du sud de la France, entrainé à Saint-Gilles Croix de vie, auteur d’un honorable parcours jusqu’alors, tapis entre la quinzième et la vingtième place en début de course et en réussite depuis Bréhat. Le podium accueille à ses côtés Julie Simon, rookie elle aussi pour un scenario improbable dont Tom Dolan le plus au Nord de la flotte ne tire pas tous les bénéfices escomptés…
Le vent rentre un peu plus tôt que prévu et après la poisse du front chaud, les spis claquent fort dans le vent de Sud-ouest qui propulse la flotte toue la nuit plus de 10 noeuds de moyenne à l’assaut du phare. Les cadors de la Solitaire ont beau cingler leur Figaro Bénéteau 3, ce sont bien les nordistes qui empannent les premiers au Fastnet et pointent vers Kinsale. Tuduri tient bon la tête de course et ne s’affole pas quand Palmieri s’échappe à la côte. Il l’emporte avec panache à Kinsale avec un bon quart d’heure d’avance sur Tom Dolan qui s’arrache et peut être fier d’avoir initié la fronde, suivi de Julie Simon.
Premier du groupe de l’Ouest, Basile Bourgnon pointe à 31 minutes seulement et tous ses camarades de jeu suivent de près. Ce qui compte sur la Solitaire n’est pas l’écart en milles mais la vitesse à laquelle les bateaux filent vers l’arrivée. La belle brise d’ouest sauve donc les favoris au général. Et les jeux restent ouverts pour tout le monde !
EPILOGUE : Quelques heures après l’arrivée et la réunion du jury, le classement chamboulé hisse Tom Dolan à la première place de l’étape. Benoit Tuduri et Julie Simon quittent le podium, pénalisés l’un pour matossage à l’extérieur, l’autre pour avoir navigué dans des zones interdites. Symbole de la liberté, la voile de compétition est aussi un sport de règles. Les voilà rappelées aux 32 concurrents pour la suite des événements.
Pierre-Marie Bourguinat