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Tom Dolan (Smurfit Kappa – Kingspan) : « Je n’aurais jamais imaginé gagner pendant des années et je l’ai fait »

Déjà vainqueur de la 2e étape de La Solitaire du Figaro Paprec entre Gijón et Royan, Tom Dolan (Smurfit Kappa – Kingspan) a remporté hier matin la 55e édition de La Solitaire du Figaro Paprec ! Le skipper irlandais devient ainsi le 3e étranger à remporter la course reine du Championnat de France de Course au Large. Retour sur la course avec celui que l’on surnomme « l’Irlandais volant » au lendemain de sa victoire.  



Qu’est-ce que ça fait de se réveiller en tant que vainqueur de La Solitaire du Figaro Paprec ?

C’est marrant, j’ai mis cinq à dix minutes à me souvenir que j’avais gagné. J’étais tellement cramé. Je me suis réveillé dans une chambre avec les volets fermés, je ne savais pas où j’étais, ni quelle heure il était. Et au bout d’un moment, je me suis dit que j’avais gagné. C’était un peu bizarre. Je crois que je n’ai pas encore réalisé. J’étais avec des enfants il y a quelques minutes. On regardait le trophée et tous les noms gravés dessus. C’est bizarre. Ça paraissait tellement intouchable. Je n’aurais jamais imaginé gagner pendant des années et je l’ai fait !

 

Tu as grandi dans une ferme en Irlande, où tu as commencé à naviguer avec ton père. Qu’est ce qui t’a motivé à faire du solitaire ?

J’ai travaillé à l’école des Glénan en Irlande. J’ai commencé à sortir un peu en solitaire sur des petits bateaux. Je faisais des petits tours. Je regardais des vidéos sur YouTube pour essayer de comprendre comment les mecs faisaient. Je n’ai commencé à régater en solitaire qu’après avoir déménagé en France

 

Qu’est-ce qui t’a poussé à venir à Concarneau en 2011 ?

Je suis venu en France parce que la voile est accessible ici. J’ai toujours un peu galéré pour faire de la voile en Irlande parce que c’est très élitiste. Il faut être dans un yacht club, il faut être parrainé et ça coûte très cher. Quand j’ai découvert les Glénan, je me suis dit que les Français qui faisaient de la voile étaient sympas. On m’a prêté un Mini 6.50 en 2015 et j’ai fait la Mini Transat. C’était un peu l’aventure. J’ai eu plein de galères. J’ai touché l’héritage de mon père décédé quelques années plus tôt pendant la course. J’avais l’opportunité d’acheter une maison ou de faire des études. J’ai décidé de tout dépenser dans un autre Mini. J’avais fait un bon début de saison et j’avais gagné pas mal de régates. Ça commençait à me plaire beaucoup. J’ai trouvé quelques sponsors. Après la Mini, j’ai vendu le bateau pour acheter un Figaro 3 en 2019.

 

Qu’est-ce qui t’attirait dans le Figaro ?

J’avais fait une saison en Figaro 2 avant. Ce bateau m’avait toujours fait rêver, je ne sais pas pourquoi. Je le trouvais beau et j’aimais l’idée que tout monde ait le même. Avec la monotypie, c’est l’humain et les voiles qui font la différence, tu n’as pas l’excuse de la machine. Tu te rends compte que les voiles sont le moteur du bateau et à quelle point la stratégie et le placement sont importants alors que dans d’autres Classes, comme en Mini, il y en a toujours qui se disent que vu qu’ils ont un meilleur bateau, ils vont aller plus vite.

 

Au-delà de la stratégie et du placement, le mental peut faire aussi la différence. Tu t’es entouré l’an dernier de Gerry Hussey, un psychologue du sport renommé en Irlande. En quoi cela t’a-t-il aidé ?

J’ai mis du temps à le trouver, ce n’est pas facile. J’avais d’abord essayé avec un coach mental français qui connaissait la voile et la course au large mais ça n’a pas marché. Je travaille avec Gerry qui n’est pas seulement préparateur mental. Il s’intéresse beaucoup à la personne qu’il y a derrière et à ce qu’on a dans la tête. Il m’a bien aidé sur l’aspect mental. On a fait un énorme travail de réparation mentale avant de faire de la préparation mentale. Le mental était mon point faible. Quand quelque chose n’allait pas bien en régate, je m’effondrais. Je me disais que je ne valais rien, que n’avais rien à faire là alors que si ça se trouve, j’étais juste du mauvais côté d’une bascule.

 

Visiblement, ça a bien payé…

Oui, c’est dingue ! Comme quoi il faut gérer la tête. J’ai mis longtemps à le faire mais c’était nécessaire.

 

L’an dernier, tu as gagné la première étape de La Solitaire du Figaro Paprec chez toi, en Irlande. Est-ce que ça t’a aidé psychologiquement cette année ?

Oui mais pas seulement. J’ai été assez dominant l’an dernier. J’ai l’impression qu’il y a eu une transition un peu foireuse sur la 2e étape où on a tous pris 15 heures de retard. Mais sinon, j’étais assez content de la manière dont j’ai navigué l’an dernier. Je me suis dit qu’il ne restait qu’à naviguer de la même façon cette année.

 

Cette année, tu as a fait un beau début de saison et gagné une étape de la course. Tu étais un peu en état de grâce. A quel moment as-tu pris conscience que tu pouvais gagner La Solitaire du Figaro cette année ?

A l’arrivée de la 2e étape, quand j’ai vu les écarts qu’il y avait. J’avais quasiment 1 heure d’avance sur Gaston (Morvan, Région Bretagne – CMB Performance) et toute la bande. Je me suis dit que c’était beaucoup. Et quand on a vu les prévisions météorologiques pour la 3e étape, je savais que ça serait dur de rattraper une heure de retard. Il fallait juste tenir. Quand on est sorti de la baston et que j’ai vu que rien n'était cassé, je me suis dit que ça commençait à sentir bon mais je crois que je ne voulais pas l’admettre.


La 3e étape s’est disputée dans du vent fort. Ce sont des conditions auxquelles tu es habitué. Ça t’a aidé ?

Ce n’est pas faux (rires). J’étais tout le temps trempé quand j’étais gamin. Je naviguais dans l’humidité, le froid. Il n’y avait pas de chauffage à la maison et il y avait des trous dans la fenêtre, ça caillait. Et en hiver, il fait nuit à 16h en Irlande. Ça a dû aider. Et j’ai fait des tours de l’Irlande en novembre, avec du vent de nord-est.Je ne dirais pas que je suis à l’aise dans la brise ni que c’est agréable, mais j’ai beaucoup d’expérience. J’ai beaucoup navigué dans ces conditions mais c’est toujours stressant, tu as toujours peur de casser. Ça fait partie du boulot !

 

Comment as-tu géré les dernières de course en sachant que tes principaux concurrents étaient devant ?

C’était horrible. J’étais complétement cramé mais je n’arrivais pas à dormir parce que j’étais trop stressé par rapport à la distance qu’il y avait entre nous. On en avait parlé avant le départ. On savait qu’on aura 10-12 nœuds en moyenne sur le dernier bord. Et une heure, c’est 12 milles donc il fallait que Gaston soit 12 milles devant moi pour ne pas gagner. Ce n’était pas le cas. Je n’arrêtais pas de faire des calculs, c’était horrible ! Je n’ai pas profité du moment. En plus avec la fatigue, je n’arrivais pas à calculer ni à voir les chiffres. J’ai sorti la calculatrice à un moment. Et en plus, j’avais complètement oublié Loïs (Berrehar, Skipper Macif 2022). Heureusement que j’avais le classement. Le finish était sympa quand même.

 

As-tu réalisé que tu avais gagné avant d’arriver ?

Quasiment. Je ne savais pas à quelle heure Loïs était arrivé. Je ne le captais pas à la VHF. J’avais une bonne idée surtout quand j’ai vu les caméras, les feux et le reste. J’ai demandé au déplombeur si c’était bon, si j’avais gagné quand il est monté à bord. Il a regardé son téléphone et m’a dit que c’était bon !

 

Selon toi, qu’est-ce qui a fait la différence cette année ?

La réussite, un peu. C’est marrant, tu entends les mecs dirent ‘il faut un peu de réussite’ à chaque fois qu’ils gagnent. Je crois que j’ai bien géré la 2e étape, surtout la première transition vu qu’après, c’est parti par devant. Donc j’ai eu de la réussite.

 

Tu as aussi fait un break cet été. Ça t’a aidé ?

Ça m’a fait du bien de faire une coupure cet été pendant les Jeux Olympiques. Pour une fois, j’ai eu un vrai été. J’ai pu profiter, c’était chouette d’avoir des vacances.

 

Tu es bien entouré d’une grosse équipe, ça a joué aussi ?

On est dix, c’est énorme pour qu’un mec aille aller faire du bateau. Ça s’est fait petit à petit, ça a grandi au fur et à mesure. On n’a eu aucun problème cette année, il n’y a eu aucun maillon faible. Gildas (Mahé) a super bien géré le bateau, Franck, mon coach sportif m’a mis en très grande forme, Gerry Hussey m’a bien préparé mentalement, Gerry Jones a géré tout le côté sportif, Ancora a géré la communication. Ça doit être un sacré métier de faire ma communication parce que je n'aime pas ça (rires). Je suis comme un bébé qui ne veut pas manger quand il s’agit de faire une vidéo mais ils le font hyper bien. Et ma chérie, Karen travaille avec moi sur la partie administrative. Et qui doit surtout gérer toutes mes crises et faire des sacrifices. Je suis plus heureux pour eux que moi, ils ont tous pleuré.

 

Tu es seulement le troisième skipper non-français à gagner la course et le premier depuis Laurent Bourgnon en 1998. Qu’est-ce que ça représente pour toi ?

C’est dingue, je ne réalise pas. J’avais neuf ans quand Laurent a gagné. C’est un sacré club, de sacrés noms. Je crois que je ne réalise toujours pas.

 

La course au large est plus une spécialité française que anglo saxon. Pense-tu que ta victoire va avoir un impact en Irlande et susciter des vocations à l’étranger ?

Je n’aurais jamais dit oui, mais depuis le documentaire qui est passé à la télévision en Irlande, je reçois des messages de gamins qui m’écrivent sur Instagram et qui me disent que ce que je les fais fait rêver, qu’ils ont envie de faire le Vendée Globe. Donc peut-être. Je n’ai pas la volonté d’être une star ou d’être connu mais c’est marrant de recevoir des messages des enfants. Et c’est touchant, aussi. Quand je retournerai en Irlande, j’essaierai de faire des visites des bateaux.

 

Maintenant que tu as gagné La Solitaire du Figaro Paprec, à quoi ressemble la suite ? As-tu envie de revenir pour défendre ton titre ?

Je pense que j’ai envie de revenir, même si je ne gagne pas ! C’est addictif, surtout naviguer au contact. J’ai passé pas mal de temps tout seul devant sur la 2e étape C’est sympa d’être devant mais le contact m’a manqué. Ce n’est peut-être pas mon truc de ne voir personne autour.

 

Et ensuite, as-tu envie de faire du plus gros bateau ?

Un petit Vendée Globe, peut-être un jour. Un Irlandais n’a jamais fait le tour du monde en solitaire sans escale donc ça peut être sympa d’être le premier mais peut-être pas en 2028. Je ne suis pas prêt, il me manque beaucoup d’argent. Déjà, je referai une Solitaire de plus et on verra !

 

 

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