Enfant déjà, Sanni cherche le défi et l’aventure. Elle aime être en mer et rêve de devenir un jour navigatrice hauturière. Après une carrière Olympique en 49er FX et une médaille d’argent à Tokyo, elle entame désormais sa deuxième carrière de navigatrice : celle de navigatrice offshore internationale.
1. Susann, j’ai une première question : si demain soir je te croise en soirée et que je te demande : “Susann, qu’est-ce que tu fais dans la vie ? Que répondrais-tu ?
Je répondrais que j’ai beaucoup de chance car j’ai pu faire de ma passion un métier. Je suis skipper professionnel et naviguer est mon métier. Je suis originaire du nord de l’Allemagne, j’ai 32 ans et je navigue depuis des années en olympisme, et notamment en dériveur olympique. J’ai remporté une médaille d’argent il y a deux ans aux Jeux-Olympiques de Tokyo, et j’ai toujours rêvé de faire de la course au large. L’année dernière, je me suis lancé dans cette aventure un peu folle, et j’ai commencé à faire du Figaro en France. Aujourd’hui, je vis en France et je commence à apprendre la langue. En plus de la voile, j’aime beaucoup faire du surf et passer du temps dans l’eau.
2. Il s’agit de ta deuxième participation à la Solitaire du Figaro Paprec, quelle image as-tu de cette course ?
C’est de la folie ! Il n’y a qu’un seul mot pour décrire cette course et c’est “folie”. A chaque fois que je fais une course en Figaro, je suis stupéfaite par le niveau de tous les marins. Ce genre de discipline a presque un caractère masochiste tellement c’est dur. C’est au-delà des mots; c’est cruel, c’est un défi, c’est frustrant, mais c’est aussi beau d’une certaine manière. C’est un mélange de toutes ces émotions. C’est aussi une compétition et c’est ce que j’aime le plus dans ce sport.
3. Dis-nous en plus sur tes sponsors ? ton projet !
Ma campagne s’intitule “This Race is Female”. A travers celle-ci je souhaite motiver les femmes et les jeunes filles à faire ce qu’elles veulent, à croire en leurs rêves et à penser qu’elles peuvent devenir n’importe qui si elles le veulent. Il s’agit donc de permettre aux femmes de s’émanciper et de leur donner plus de visibilité. Je pense que nous vivons dans un monde où l’égalité des sexes est un objectif, mais ce n’est pas encore le cas. La voile est un sport merveilleux pour promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes, car même si c’est un sport très masculin, en réalité nous ne sommes pas désavantagées. Ce que j’aime particulièrement en Figaro, c’est qu’il n’y a pas de classement propre aux femmes. Nous n’en faisons pas toute une histoire, nous sommes en compétition avec les hommes, nous ne demandons pas notre propre trophée ou prix. Cette catégorie est d’une certaine manière très féminine, parce qu’il n’est pas fréquent dans notre société que nous ayons des chances égales à celles des hommes. En intitulant ma campagne “This race is Female”, je souhaite en quelque sorte être un modèle et donner des opportunités aux autres femmes.
DB Schenker est mon premier partenaire, c’est une entreprise de logistique qui transporte des marchandises dans le monde entier. Cela convient parfaitement à la voile, puisque nous voyageons nous aussi la plupart du temps et que nous nous déplaçons d’un point A à un point B. Mon autre sponsor est BayWa r.e., R.E. signifie “énergies renouvelables”. Ils travaillent dans le domaine de l’énergie éolienne et, bien sûr, cela correspond parfaitement à la voile, car nous sommes tous les deux alimentés par le vent.
4. Quel est ton pire souvenir en navigation ?
Mon pire souvenir est sans aucun doute la troisième étape de La Solitaire du Figaro Paprec l’année dernière. Il y avait beaucoup de vent annoncé et tous les autres Skippers pendant le briefing météo ont dit qu’ils avaient peur parce qu’ils ne savaient pas comment ils allaient naviguer dans une telle brise pendant si longtemps. Personne n’avait jamais vu autant de vent auparavant, et pendant une aussi grosse période. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à avoir très peur, car s’ils n’avaient jamais vu autant de vent, alors ce n’était certainement pas mon cas aussi. Mon plan était alors d’y aller très doucement, et de n’utiliser que le génois et la grand-voile pour rejoindre les côtes françaises après avoir contourné la marque au nord de l’Espagne. Mon objectif était juste de rentrer en France, malheureusement mon génois s’est complètement déchiré alors que je naviguais au près. A ce moment-là, je savais aussi que je ne franchirais pas la ligne d’arrivée avant la fermeture de la ligne car je n’avais plus de génois. Et puis, je me suis souvenu de l’objectif que j’avais ; je voulais finir chaque étape même si je n’étais pas dans le temps limite. Je devais quand même terminer cette étape, et je me suis détesté de m’en tenir à mon objectif. J’ai dû installer le spinnaker, sinon j’aurais été trop lente et je n’aurais pas pu poursuivre mon plan de navigation. Je sais que ça paraît ridicule pour tous les autres figaristes, mais il s’agissait de ma première année de navigation au large, ainsi qu’en solitaire. C’était juste fou, j’étais assis sur la coque de mon bateau pleurant de désespoir ; j’ai vraiment eu très peur.
5. Quelle chanson inavouable écoutes-tu lorsque tu es seul au large et qui peut t’aider contre la fatigue ou l’angoisse ?
J’ai des goûts musicaux très différents lorsque je suis sur l’eau et sur la terre, et c’est la même chose pour la nourriture en fait. En navigation j’écoute un rap allemand très agressif, qui dit qu’il faut pousser et être plus fort que les autres. Ce n’est généralement pas mon genre de musique, mais l’année dernière, je l’ai écouté tout le temps. À part cela, j’écoute des chansons des années 70 et 80 qui donnent la pêche. J’ai créé une playlist sur Spotify qui est publique et où les gens peuvent partager des chansons. Accéder à la playlist de Susann.
6. Peux-tu nous parler de tes objectifs cette année ? et de tes ambitions futures ?
Mon objectif futur est de faire le Vendée Globe, j’espère en 2028. Je croise les doigts, il y a beaucoup à faire ! Le figaro est extrêmement dur et compétitif, et je pense qu’un top 15 est déjà très bien. Je ne veux pas me mettre un objectif de place, mais c’est sûr que je veux faire mieux que l’année dernière et en général, je veux être la meilleure version de moi-même. Cependant, pour être très honnête, je ne pense pas que cette année sera celle de la performance. Je suis encore nouvelle sur le circuit, je découvre encore beaucoup de choses et je fais beaucoup trop d’erreurs. Je pense que tout grand succès prend du temps ; c’est ce que m’a appris ma carrière olympique. S’attendre à un résultat cette année serait trop tôt ou sinon la classe serait trop facile, et ce n’est pas le cas !
7. As-tu un modèle parmi les marins qui ont déjà fait “La Solitaire du Figaro Paprec” ?
Non, je n’ai pas vraiment de modèle particulier, mais j’ai beaucoup de modèles pour des choses différentes. Florence Arthaud, je l’aime parce qu’elle a cette touche artistique, et je pense qu’elle est incroyablement inspirante. Samantha Davis est également une femme à mentionner. J’ai toujours admiré la façon dont elle parvient à combiner sa vie privée, sa vie de famille, et son activité de navigatrice professionnelle. J’ai navigué avec Tom Laperche en janvier sur l’Ocean Race. C’était incroyablement inspirant de naviguer avec lui parce qu’il a un très bon feeling pour les bateaux, et une vraie passion que l’on ressent en permanence autour de lui pour tout ce qui est lié aux bateaux, aux voiles, à la vitesse, au vent, aux vagues. Il est toujours en train d’observer et de ressentir, et j’ai trouvé que c’était une mentalité très inspirante pour la voile.
8. Un dernier mot ?
J’ai un énorme respect pour tous ceux qui participent à cette course. C’est un défi incroyable, et quel que soit le résultat, tout le monde fait un travail extraordinaire. La culture autour de la Course au Large est tout simplement incroyable. J’ai hâte de vivre un événement fou avec de nombreux héros !!