Michel Desjoyeaux, triple vainqueur de La Solitaire du Figaro, était présent sur le Village de la course à Royan. Nous sommes revenus sur le début de course et sur l’importance de faire la course reine du Championnat de France de course au large pour les marins avec celui que l’on surnomme « le professeur » dans le milieu.
Tu connais très bien La Solitaire du Figaro Paprec pour l’avoir courue à de nombreuses reprises. Quel regard portes-tu sur le début de la course ?
La première étape aurait pu être déterminante parce qu’une bonne partie de cette dernière s’est disputée en Manche. On a vu Alexis (Loison, Groupe REEL) s’extirper du paquet dans son terrain de jeu préféré, au large de Cherbourg, et bien dominer. Je trouve qu’il n’a pas été vraiment été bien payé parce qu’il était dans une position difficile. Quand tu es devant, tu subis les trajectoires des autres qui sont derrière. L’arrivée à Gijón aurait pu être, une fois n’est pas coutume, calamiteuse mais au final, on a été quasi proche du zéro écart. L’étape n’a quasiment compté pour rien même si ça a certainement permis à certains de se rôder et de s’acclimater.
Le scénario a été différent sur la 2e étape…
A l’inverse, la 2e étape devient décisive alors que tout s’est joué quelques minutes avant le coup de canon du départ. Il y a ceux qui ont réussi à s’extirper et d’autres qui se sont restés plantés. Et ça a perduré. L’élastique n'a fait que se tendre, mais pas tout à fait jusqu’à l’arrivée. Ça a limité la casse puisque Tom Dolan (Smurfit Kappa – Kingspan) est arrivé avec le courant contraire avant que le vent ne se renforce, ce qui a permis à ceux de derrière de retasser un peu les écarts. C’est dingue de voir le retard de Basile (Bourgnon, EDENRED) sur le premier. Cette étape n’est pas forcément le reflet de la performance générale de chacun. Mais c’est le jeu de La Solitaire. C’est une course au temps, avec l’addition du temps des trois étapes. C’est important de le rappeler. Contrairement à un classement aux points, ça privilégie les prises de risques et le fait de tenter des coups. C’est un peu la philosophie de cette course-là. La régularité ne suffit pas, il faut avoir de la chance ou faire le bon coup au bon moment.
La 3e étape peut-elle rebattre les cartes ?
Il peut ne rien se passer de plus, quelques petits ajustements à droite à gauche, car forcément, il y aura des écarts après un tel parcours. Ça peut aussi complètement redistribuer les cartes avec un paquet de renverses de courant et de choix stratégiques à faire, notamment à l’aller. Entre l’occidentale de Sein et la côte anglaise, le terrain de jeu est très large pour arriver en Manche. On peut soit prendre le Four, soit aller vers l’extérieur de Ouessant. Le retour vers la côte anglaise peut être aussi déterminant puisqu’il y aura la renverse de courant en Angleterre et le passage de la pointe Bretagne, avec les deux os qui sont le passage de la pointe Matthieu à Ouessant et le Raz de Sein. Donc il peut ne rien se passer du tout ou alors ça peut complètement redistribuer les cartes. Tom Dolan a l’air assez à l’aise. En le voyant sur l’eau, on s’est dit que c’était peut-être celui qui avait le plus navigué cette année avec ses périples autour de l’Irlande. Et que plus on navigue, mieux c’est. Et si la motivation est là, ça peut faire la différence.
Cette année, il y avait 16 bizuths au départ. Il en reste 15 suite à l’abandon de Louise Acker (Région Bretagne – CMB Océane). Que penses-tu de la jeune génération?
Je ne crois pas qu’il y ait eu souvent autant de bizuths. Là, il y en a beaucoup, c’est top ! J’ai entendu dire qu’ils étaient très favorables à faire des choses que la génération d’avant n’était pas très encline à faire, comme faire visiter les bateaux. C’est important de permettre aux gens de découvrir les bateaux de l’intérieur. Je tiens à féliciter cette jeune génération qui se débrouille très bien, qui a le mérite d’être là et qui en plus joue le jeu en partageant notre sport, qui est d’abord une passion. Il ne faut pas l’oublier.
On dit souvent « passes ta Mini d’abord ». Stéphane Le Diraison et Quentin Vlamynck, qui viennent de l’IMOCA et de l’Ocean50, ne jouent pas forcément aux avant-postes sur La Solitaire du Figaro Paprec cette année. En quoi La Solitaire du Figaro Paprec est-elle formatrice pour les marins ?
A chaque fois que des jeunes ou moins jeunes veulent faire de l’IMOCA ou du gros bateau, je leur dis d’aller faire du Figaro d’abord ou en parallèle. Je l’ai beaucoup fait quand je naviguais sur Géant ou Foncia. Naviguer le plus possible avec beaucoup de confrontation est très enrichissant. Ce que je trouve le plus utile, c’est le niveau d’exigence qu’il y a dans la Classe Figaro. On l’a vu l’année dernière avec deux concurrents qui se sont fait disqualifier. Je pense qu’ils étaient persuadés que tout le monde trichait alors que ce n’est pas le cas. Et on ne peut pas le faire parce que les bateaux sont identiques et que tout est vérifié, entre les scellés, les pesées et le reste. C’est le meilleur qui gagne. On peut le voir comme une contrainte mais ça impose un niveau de rigueur qui va te servir toute ta vie. Même si tu ne reproduis pas la même chose ensuite, ça t’aura permis d’élever ton niveau de rigueur. Bravo à Quentin et Stéphane d’avoir osé venir sur le circuit parce que souvent, quand je dis aux gens de venir faire La Solitaire, ils répondent qu’ils vont prendre une mine, mais ce n’est pas grave. Il ne faut pas s’avouer vaincu avant de commencer. On apprend tellement de choses en terme d'exigence que nécessite cette course. La marge de progression sur cette course est importante et rapide. Et en plus, la saison ne coûte pas très cher pour quelqu’un qui a déjà un autre projet à côté. Quand tu as déjà un IMOCA ou un gros bateau, tu as déjà tes préparateurs. Tu n’as que ta course à faire et à gérer. En gros, ça ne coûte pas beaucoup plus cher qu’une grand-voile d’IMOCA. Et les retombées sont folles. Pour moi, faire La Solitaire du Figaro est indispensable, incontournable. D’ailleurs, on voit que ceux qui tournent en IMOCA sont des marins qui ont brillé en Figaro d’abord.