À l’aube du troisième jour de la course, la bataille navale entre les 32 solitaires prend des allures de guerre de sécession aux Scilly. Sorte de carrefour giratoire entouré de zones interdites à la navigation (DST, dispositif de séparation de trafic) ouvrant en grand le champ des possibles en termes de trajectoires, l’archipel de la mer Celtique a été, cette nuit, le théâtre de l’éclatement du nord au sud de la flotte. On mesure ce matin un écart d’une trentaine de milles en latéral entre les premiers au classement et les leaders d’hier, qui concèdent 5-6 milles de retard par rapport au but.
Au plus près de la route directe, l’Irlandais Tom Dolan (Smurfit Kappa-Kingspan), pressé de rejoindre ses côtes natales, a pris les commandes du classement. Dans des quartiers nord, il est suivi par Benoît Tuduri (CAPSO En Cavale) et Julie Simon (DOUZE), qui n’ont pas hésité aussi à s’aventurer hors des sentiers battus par le gros des troupes. Ce matin, ces deux audacieux bizuths méritent de goûter au plaisir de pointer aux avant-postes.
Sur une route plus médiane, le peloton compact, emmené depuis hier par Corentin Horeau (Banque Populaire), progresse sur une trajectoire dans le sud de l’archipel, entre deux DST. Ce groupe d’une vingtaine de bateaux, a été rejoint dans la nuit par Charlotte Yven (Skipper MACIF 2023). Après avoir emprunté une trajectoire qui l’a vue passer dessous les DST, la jeune navigatrice s’est recalée dans la nuit. En 22e position, elle affiche un retard de 6 milles sur le chef de son nouveau groupe.
Plus en dessous, Philippe Hartz (Marine Nationale - Fondation de la Mer), 26e, se positionne en chef de fil des sudistes. Il est notamment suivi Susann Beucke (This Race is Female) sur ces chemins détournés.
Aux quatre coins de cette flotte dispersée sur l’échiquier de la mer Celtique qui s’est un peu assagie depuis les Scilly, l’heure est au statu quo dans un flux de nord-ouest de 12-13 nœuds. Le soleil se lève à l’horizon de cette journée au suspense garanti. Les prochaines heures de course dépendent en effet du timing d’arrivée d’une prochaine bascule de vent à gauche. Une fois qu’il l’aura touchée, le groupe du centre pourra alors faire route directe vers le Fastnet. Pourra-t-il rattraper le « local de l’étape » avant de rejoindre le phare le plus iconique d’Irlande ? Il reste encore 120 milles pour le rallier, et départager cette meute de solitaires dont les routes divergent…
Les mots à la VHF
Élodie Bonafous (Queguiner - La Vie en Rose) : « On se fait bien secouer. Je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait autant de houle au passage des Scilly. La mer s’est bien levée. Le vent n’est pas très régulier, mais je suis rassurée d’arriver à faire ce que j’ai envie de faire. J’ai réussi à bien dormir en début de nuit, et je suis en veille. On attend une bascule du vent à gauche pour virer et commencer à faire route vers le Fastnet. C’est intéressant, parce que Tom Dolan nous a lâchés. Il a pris son petit baluchon, son courage et il est parti de l’autre côté. La flotte s’est un petit peu éclatée. À voir ce que ça donne. Je suis plutôt confiante dans ce que je fais, et contente de mes choix. Aujourd’hui, je n’ai pas prévu de lire un bouquin, ou de faire de siestes, parce qu’il va se passer pas mal de choses. J’attends la météo et je reste aux aguets des variations de vent pour positionner mon virement au bon moment. Cela va adonner au fur et à mesure. Il va falloir être sur le dossier des changements de voiles et des trajectoires. J’essaie d’être rapide pour arriver au Fastnet avec le coucher de soleil pour faire une belle photo Instragram. Malheureusement, je suis en train de me dire que j’allais encore le passer de nuit et ne pas le voir. »
Benoît Mariette (Génération Senioriales) : « Au passage des Scilly, j’ai choisi d’aller dans l’ouest le plus rapidement possible pour anticiper la rotation du vent que l’on vient de toucher il y a 10 minutes. Jouer cette bascule-là était le choix le plus évident. On verra si le placement était bon. J’ai vu Tom Dolan qui faisait du bâbord avant tout le monde au passage des DST et je l’ai perdu à l’AIS. J’ai entendu sa position au classement, et je suis curieux de savoir ce qu’il a fait. Nous avons eu plus de vent que prévu depuis hier soir. Actuellement nous n’avons que 8 nœuds à peine. On fait du près. Je suis sous GV et J2 mais toujours un peu de mer et ce n’est pas facile de faire avancer le bateau. La nuit a été bonne et j’ai bien dormi. C’était propice. J’en avais besoin car les deux premières nuits, j’avais eu du mal à me reposer. mais on sent qu’on se rapproche de l’Irlande car ça commence à cailler. J’ai le bonnet depuis le coucher du soleil. »