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Des îles et des ailes

Publie le 08/06/2019

À l’issue de plus de quatre jours et quatre nuits de mer, les arrivées à Kinsale montrent qu’il fallait avant tout se caler par rapport à la route la plus directe dès le DST Ouessant paré, alors que ce ne fut pas le cas auparavant… Comment anticiper une situation météo quand les fichiers d’origine ne sont plus valables ? Se poser le moins de questions et aller vite vers le but, si on en juge par les résultats de cette première étape !

Alexis Courcous
Alexis Courcous

Tout commence devant Pornichet quand Morgan Lagravière (Voile d’Engagement) prend la direction des opérations et vire en tête la bouée Radio France : la brise d’Ouest est correctement établie d’une dizaine de nœuds et il ne reste plus qu’à parer l’île de Noirmoutier avant de glisser vers les Sables d’Olonne et la bouée de Port Bourgenay. On s’attendait à un vent instable, il n’en fut rien et devant Yeu, quand Gildas Morvan (Niji) percute violemment une roche, Michel Desjoyeaux (Lumibird) prend les choses en main. Les écarts frisent les dix milles avec Cécile Laguette (Eclisse) retardée par un spinnaker récalcitrant en baie de La Baule. Et comme la flotte est en avance sur le programme à 1h30 ce lundi, on s’attend à une course bien plus rapide que prévue. Mais c’était sans compter avec une dorsale peu coopérative…

De zigs en zags

Adrien Hardy (Sans nature, pas de futur) prend alors la tête de la flotte en privilégiant les bords à la côte dans une brise d’Ouest à Nord-Ouest devenue quelque peu poussive. On retrouve alors Michel Desjoyeaux en dauphin, Armel Le Cléac’h (Banque Populaire) à la troisième place et Yann Éliès (St Michel) à la cinquième, quand Yoann Richomme (HelloWork-Groupe Télégramme) pointe dixième… Mais la route est encore longue vers la pointe bretonne surtout quand le vent joue les girouettes affolées et favorise la droite, puis la gauche, puis le centre mais pas encore l’extrême gauche où Thomas Ruyant (Advens-Fondation de la mer) suivi par Clément Commagnac (Grain de Sable), s’est courageusement engagé.

Ça tricote donc dans la nuit et le lendemain au zénith du soleil, il y a déjà dix milles de delta latéral dans le peloton et jusqu’à 35 milles vis-à-vis des « gauchistes »… Il faut dire que ça n’avance pas fort en direction de Belle-Île et après 24 heures de course, la surprise vient du Nord quand le « novice » Henri Leménicier (Eurêka) s’échappe par le Nord : un grand détour qui lui permet de cumuler près de huit milles d’avance sur un peloton qui hésite encore entre le passage à l’extérieur de Belle-Île ou par la presqu’île de Quiberon !

Après une journée et demie de mer, le « bizuth » s’est fait la malle avec plus de 16 milles de marge sur Julien Pulvé (Team Vendée Formation) quand Tom Laperche est cinquième, Jérémie Béyou (Charal) dixième, Corentin Douguet vingtième et Loïck Peyron 33ème ! On croit revivre l’échappée de Laurent Bourgnon en 1988, mais les roches de Penmarc’h remettent les compteurs à zéro : le vent s’écroule devant le phare d’Eckmühl, alors que les poursuivants, après le spinnaker, envoient le gennaker dans une brise soutenue de Sud-Est qui propulse sévère.

Le choix ouessantin

Au grand large, Thomas Ruyant se voit pousser des ailes et cavale fort ; au large, Adrien Hardy mène le train ; à terre, ça tamponne pour Anthony Marchand (Groupe Royer-Secours Populaire). Puis la plupart des solitaires choisissent de passer à l’Ouest de la Chaussée de Sein quand le leader d’alors s’embouque dans le raz, suivi par Robin Marais, puis très loin par Armel Le Cléac’h (44ème), Joan Mulloy (Believe in Grace-Businesspost.ie, 45ème) et Cécile Laguette (46ème)… alors que Yann Éliès reprend le commandement par l’Ouest. Mais c’est véritablement à Ouessant que se joue cette première étape de La Solitaire URGO Le Figaro : avec le DST à éviter, la flotte est obligée de choisir son camp…

Entre l’île « sentinelle » et le Dispositif de Séparation de Trafic, Henri Leménicier emmène dans son sillage Michel Desjoyeaux (20ème) quand Alain Gautier (Merci pour ces 30 ans) passe entre Ouessant et Le Conquet à la 40ème place, tandis que Thomas Ruyant en tête, entraîne le peloton dans une série de virements de bord vers l’Ouest. Après deux jours et deux nuits de course, à l’entrée de la Manche on compte 40 milles d’écart latéral entre les partisans de ces deux options, alors qu’au large, le gros de la flotte se sépare encore en deux : ceux qui profitent des bascules d’un vent d’Ouest à Nord-Ouest instable pour gagner vers l’Ouest à l’instar de Xavier Macaire (Groupe Snef, 16ème) ou Pierre Quiroga (Skipper Macif 2019, 17ème), et ceux qui privilégient la route vers le Nord tels Pierre Leboucher (Guyot Environnement) ou Matthieu Damerval (Klaxoon-M, 28ème).

Stop and go au Fastnet

Trois jours et trois nuits sont passés et personne ne se doute qu’un rebondissement est possible à une centaine de milles du phare irlandais : à l’Est, Armel Le Cléac’h est passé par les Scilly ; au centre, Pierre Leboucher et Yoann Richomme font route directe dans un flux d’Ouest ; au large, ça tricote dans une brise de plus en plus instable où les grains viennent perturber les solitaires. Or après trois jours et demi, le vent s’écroule pour s’orienter au Nord voire au Nord-Est : Armel Le Cléac’h s’envole par l’Est, Pierre Leboucher et Yoann Richomme confirment leur bonne forme au sein du groupe du centre ; Yann Éliès, Adrien Hardy et Thomas Ruyant emmènent leur pack dans une zone incertaine, pourrie de pluies et de calmes imprévus…

À trente milles du Fastnet, le doute est encore complet car les calmes reviennent par le Nord-Est et une faible brise souffle par l’Ouest. Et plus les leaders s’approchent des côtes irlandaises, plus le vent joue les filles de l’air ! Mais l’affaire semble entendue : la voie de l’Ouest n’arrive pas à s’extirper et le vainqueur du dernier Vendée Globe recolle aux premiers, venus du centre, avec une hiérarchie qui ne bougera plus beaucoup jusqu’à l’arrivée. Yoann Richomme vire en tête le phare dans une fin de marée descendante favorable… suivi par Pierre Leboucher et Tom Laperche.

Un trio percutant

Pour les partisans du large, la situation devient de plus en plus critique car non seulement la brise tarde à s’installer d’Ouest mais en sus, la renverse sera redoutable ! Les leaders envoient le spinnaker pour un grand bord agrémenté de quelques empannages afin de profiter du courant de marée le long des côtes irlandaises baignées de soleil. Tom Laperche met la pression sur Pierre Leboucher, et jusqu’à la fin sur Yoann Richomme, grand vainqueur devant la pointe de Head of Kinsale, point de réduction d’une dizaine de milles de ce parcours marathon.

Au large, c’est la Bérézina ! Seuls Adrien Hardy et Morgan Lagravière ont finalement rallié la voie du centre pour s’en sortir, quand Yann Eliès et Xavier Macaire redécollent enfin avec plus de vingt milles de retard… Et après 4 jours 3 heures 35 minutes et 8 secondes, Yoann Richomme remporte cette première étape avec 1’13 d’avance sur Tom Laperche et 3’47 sur Pierre Leboucher. Suivent Éric Péron (French Touch) et Corentin Douguet (NF Habitat) tandis que Loïck Peyron (Action Enfance) termine 6ème devant Damien Cloarec (@damiencloarecskipper) revenu malgré son pit-stop à Pornichet pour des problèmes de pilote, et un Michel Desjoyeaux pas si marri de ce final, tout comme Armel Le Cléac’h, onzième à Kinsale !

Mais derrière le douzième Arthur Levaillant (Leyton) à moins d’une heure du leader, les écarts s’enflamment : Morgan Lagravière et Adrien Hardy sauvent les meubles à plus de trois heures tout comme Yann Éliès mais Xavier Macaire, Pierre Quiroga ou Jérémie Béyou refoulent le courant de marée descendante dans une brise qui s’est étiolée avec le coucher du soleil ! Ce final fait très, très mal et certains tentent déjà de rayer de leurs souvenirs cette première étape de La Solitaire URGO Le Figaro qui les plombent au classement général : Alexis Loison (Région Normandie) est à 8h30 du premier, Anthony Marchand à près de neuf heures tout comme Gildas Mahé (Breizh Cola Equi’Thé), Tanguy Le Turquais (Quéguiner-Kayak) à plus d’une demie journée… On a beau se dire qu’il reste trois étapes et pas des plus simples, cet envol des leaders en Irlande redistribue totalement les cartes jouées au passage des îles. Désormais, c’est à tire-d’aile qu’il faudra s’échapper pour combler ce trou irlandais…

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